Le procès contre les JRE
Voir articles et photos de "La Nouvelle République" du 25 mars 2016, l’article de "Info-Tours.fr", de "Libération", les reportages de TV Tours et le communiqué de SUD Éducation 37 (en lien, celui de France Bleu Touraine).
" Cette affaire, ça nous a fragilisés "
« Ils ont instrumentalisé une famille pour faire douter d’autres parents, en situation de faiblesse », s’indigne la directrice de l’école Blotterie, déjà en poste il y a deux ans, venue hier au tribunal pour soutenir sa collègue.
Hier, devant le tribunal, une soixantaine d’enseignants et de syndicalistes sont venus soutenir l’enseignante qui avait été diffamée en 2014 par le mouvement de Journée du retrait de l’école (JRE).
Visiblement, l’appel à soutenir Farida Belghoul (lire NR du 23 mars) avant son jugement n’a pas été entendu (*). A son arrivée au palais de justice, un peu avant 13 h 30, l’initiatrice de la Journée de retrait de l’école (JRE) est arrivée en petit comité (un cameraman personnel filmait son arrivée au tribunal), accompagnée de maître Chautemps, son avocat.
A l’inverse, dès 12 h 30 devant le palais de justice, une soixantaine d’enseignants d’Indre-et-Loire (en particulier de Joué-lès-Tours) et de syndicalistes, banderoles en main, ont manifesté leur soutien à l’enseignante de la Blotterie, diffamée en 2014 par le mouvement radical JRE.
« Elle a été atteinte dans sa dignité d’enseignante et de citoyenne, s’est exprimée une porte-parole des syndicats Sud et Solidaires, sur la voie publique. Nous sommes ici pour réaffirmer que la théorie du genre n’existe pas. Chacun et chacune d’entre nous aurait pu être la cible de la JRE. »
Elles n’ont pas été la cible, mais les victimes collatérales de cette affaire. Plusieurs enseignantes de Joué-lès-Tours (qui étaient en poste dans une autre école de la commune au moment des faits) sont arrivées ensemble hier midi, en solidarité avec leur collègue. « Nous, ça nous a fragilisés. On a dû discuter beaucoup avec les parents pour leur dire qu’ils pouvaient avoir confiance en nous. » Seules quelques familles ont finalement retiré leurs enfants pour faire l’école à la maison.
Ces enseignantes ont vécu des heures difficiles, se posant continuellement des questions. Déshabiller les enfants le jour du carnaval, faire réaliser un cahier sur le corps… « On se demandait comment ça allait être perçu par les parents. »
La directrice de l’école Blotterie, très proche de l’enseignante qui a depuis changé d’établissement, a tenu elle aussi à assister au procès. « J’aurais tant aimé témoigner… » L’avocat en a décidé autrement. « Depuis deux ans rien n’est plus comme avant…, assure la directrice qui reste malgré tout positive. Si on s’est relevé, c’est qu’on avait de très bons contacts avec les familles. On a toujours été attachés à respecter les différences. »
(*) Un tract anonyme a été distribué dans les boîtes aux lettres de Joué-lès-Tours en début de semaine appelant au soutien de Farida Belghoul ce jeudi devant le tribunal de Tours à 13 h 30.
Tours. Manipulation de l’opinion sur fond de " théorie du genre " ?
- (Photo NR, Patrice Deschamps).
Cinq heures. Il aura fallu du temps pour (tenter de) comprendre les tenants et les aboutissants d’une affaire qui, en mars 2014 avait défrayé la chronique dans une école maternelle de Joué-lès-Tours. Et très vite, bien au-delà.
En cause, la diffusion d’une vidéo le 29 mars, via YouTube, relatant par la bouche de Dalila Hassan, alors correspondante locale du mouvement Journées de retrait de l’école (JRE), le témoignage d’une mère de famille tchétchène qui lui a expliqué que son petit garçon aurait été incité par son institutrice à se déshabiller et à toucher les parties génitales de l’une de ses petites camarades. L’enseignante, bien qu’elle ne soit pas nommée, est clairement identifiable.
Diffamation publique pour l’une, complicité pour l’autre
Jeudi, Dalila Hassan et Farida Belghoul devaient répondre de diffamation publique envers un fonctionnaire pour la première, de complicité pour la seconde. Ce que leurs avocats respectifs se sont employés à démonter. Plaidant exception de bonne foi et relaxe.
A cette époque-là, 600 classes, en France, expérimentent les ABCD de l’égalité, un dispositif gouvernemental visant à lutter contre les inégalités filles-garçons. Aucune en Indre-et-Loire.
A Joué-lès-Tours pourtant, dans l’école de La Blotterie, ce témoignage, qui n’a pourtant donné lieu à aucun dépôt de plainte de la famille concernée, va servir de mèche. Va profiter à Farida Belghoul, « meneuse » du mouvement JRE qu’elle a créé pour contrer ce qu’elle craint : la diffusion d’une supposée « théorie du genre » dans les écoles.
Sur place, le terreau est visiblement favorable. La campagne électorale pour les municipales bat son plein. Et le sujet a été abordé par le candidat Frédéric Augis, devenu maire depuis. A la barre, il explique n’avoir donné que son avis sur un dispositif dont il ne partage pas la finalité.
Une enseignante " profondément blessée "
Jeudi, Farida Belghoul a défendu bec et ongles sa version. Il s’agissait uniquement d’enregistrer le témoignage. Pour ses archives. Cette professeur en disponibilité explique, avec aplomb, que c’est son cameraman, avec lequel elle a eu maille à partir depuis, qui a monté et diffusé la vidéo.
Dalila Hassan, elle, met en avant l’aide apportée à cette maman « en détresse » que la directrice de l’école n’aurait pas prise au sérieux. Sans idéologie, affirme-t-elle.
Face à ces deux femmes – dont l’une aurait pu être manipulée par l’autre, comme le souligne le procureur Jean-Luc Beck –, une enseignante profondément blessée.
Le jugement sera rendu le 19 mai.
> Les avocats de l’enseignante qui s’est constituée partie civile, ont mis en avant la « situation totalement mensongère » décrite par la vidéo, toujours visible. Pour eux, la diffamation est caractérisée.
> Ils demandent 20.000 € de dommages et intérêts et la parution du jugement dans deux quotidiens.
> Le procureur de la République a requis des peines d’amende en fonction des revenus des deux prévenues. Et la publication du jugement.
Vanina Le Gall
Pascaline Mesnage
Ecole Blotterie de Joué-lès-Tours : la théorie du doute au procès
Récit détaillé des 6h d’audience consacrées à l’affaire qui avait éclaté fin mars 2014 suite à la publication d’une vidéo du mouvement Journée de Retrait de l’Ecole.
On ressort du tribunal de Tours l’esprit embrouillé. Ce jeudi, Dalila Hassan – ancienne représentante du mouvement Journée de Retrait de l’Ecole de Joué-lès-Tours – et Farida Belghoul – « meneuse » nationale dudit mouvement – comparaissaient pour diffamation et complicité de diffamation suite à la publication d’une vidéo le 29 mars 2014. La séquence, toujours en ligne, donnait à voir Mme Hassan racontant qu’un enfant de l’école Blotterie avait été forcé de se déshabiller par sa maîtresse en compagnie d’une autre élève. Qu’il avait été demandé aux deux petits de se toucher les parties génitales et de se faire des bisous. La plaignante est l’enseignante des élèves en question, qui a désormais quitté la région.
Lorsqu’elle a éclaté, cette affaire a déchaîné les passions en pleine campagne municipale et alors qu’un débat national sur l’enseignement d’une prétendue « théorie du genre » dans les classes faisait rage. Deux ans plus tard, la tension reste vive à en juger par l’affluence dans la salle et par la manifestation organisée devant le Palais de Justice avant l’audience, pour soutenir l’enseignante. Et malheureusement, malgré 6h de débats, le procès n’a pas permis d’obtenir de réponses franches. La présidente du tribunal a eu beau répéter à plusieurs reprises que ce n’était que la diffamation qui était en question dans cette procédure, tout cela est indissociable d’une question plus large et plus grave : les faits rapportés dans la vidéo ont-ils vraiment eu lieu ?
Pour l’internaute qui visionne la séquence, le doute n’est pas envisageable : « si nous ne protégeons pas nos enfants personne ne le fera à notre place (…) il faut lutter pour que ces abominations ne se produisent plus jamais » entend-on notamment. Les faits sont au présent, pas de conditionnel, Mme Hassan explique qu’elle n’a pas peur de témoigner à visage découvert pour dénoncer cette affaire. Mais quelle affaire ? Appelée à la barre, la gestionnaire en assurance soutient qu’elle évoquait… le fait que la directrice de l’école Blotterie ait refusé d’entendre l’enseignante incriminée suite au récit de la mère du petit garçon à qui on aurait demandé de baisser son pantalon à l’école. Ce serait ça,« les abominations ».
Si elle n’est plus engagée dans le mouvement aujourd’hui, Dalila Hassan raconte ce qui l’a motivée à l’époque : le fait qu’on ne lui fasse pas signer un papier avant d’emmener un de ses enfants voir le film Tomboy « où une petite fille se travestit en garçon. » Elle fustige aussi les ABCD de l’égalité défendus à cette période par le gouvernement pour lutter contre le sexisme et qui étaient testés dans plusieurs établissements : « sous couvert de l’égalité homme-femme on faisait la promotion de l’homosexualité. J’étais inquiète pour mes enfants. » Et elle se souvient les avoir retirés de l’école à trois reprises dans le cadre d’un mouvement protestataire afin de dénoncer cette mesure. Cependant, elle ne milite plus aujourd’hui car « les échanges avec les établissements m’ont rassurée. » A se demander pourquoi elle ne les a pas eus plus tôt…
Que faisait Dalila Hassan dans le bureau de la directrice de l’école Blotterie avec la mère de l’enfant qui aurait subi ces faits ? « Je ne la connaissais pas. J’ai apporté mon aide en tant que maman. On me l’avait demandée parce que j’étais gestionnaire en assurance et que j’avais des notions juridiques. » Assez sûre d’elle mais fébrile, l’accusée enchaîne sur la fameuse vidéo, tournée dans un appartement tourangeau le soir du vendredi 28 mars : « ce n’était pas mon idée mais j’ai accepté pour aider cette maman. »
C’est là que Faria Belghoul entre en scène : le jour du tournage, elle descend de Paris après avoir reçu un mail disant qu’il se passait « quelque chose de grave à Joué-lès-Tours. » Elle n’a pas cherché à en savoir plus, elle est venue tout de suite. « J’ai proposé de réaliser cette vidéo car cette maman n’avait pas été entendue » explique-t-elle dans un premier temps. Plus tard, elle soutiendra qu’il s’agissait seulement de filmer le compte-rendu de la réunion à laquelle Dalila Hassan avait assisté.
« Lorsqu’on s’inquiète du traitement d’un enfant à l’école, le moyen le plus simple c’est de porter plainte ou de faire une vidéo ? » interroge la présidente. « La vidéo était un moyen de pression sur la directrice pour qu’elle reprenne un rendez-vous » répondra Dalila Hassan expliquant qu’elle croyait qu’elle ne serait diffusée que sur un site interne… A la fin de son interrogatoire, elle estimera en quelque sorte avoir été manipulée.
Cependant, sur les faits de diffamation pour lesquels on l’accuse, Dalila Hassan a son histoire : elle n’a fait que relayer des propos. Mais par l’affirmative, sans nuance, lui est-il répondu. La défense soutient qu’on ne peut pas identifier l’institutrice, la présidente démontre le contraire en dix secondes : il n’y avait que deux enseignantes dans cette école et dans la vidéo il est fait mention de l’absence de celle à qui les faits sont reprochés pour un stage syndical. Hors, le 28 mars 2014, seule l’instit. n’était pas à l’école pour ce motif.
« Je ne me suis pas posé la question de comment l’institutrice recevrait ça, mon objectif c’était que la maman déposé plainte » argumente Dalila Hassan. Au cours de l’audience, aucune des deux prévenues n’émettra de regrets ni ne présentera d’excuses. Un peu plus tard encore, on franchit un nouveau pas dans l’absurde : « ce que vous conseillez à tous les parents dont les enfants sont victimes d’abus sexuels c’est d’appeler Farida Belghoul ? » demande la présidente. Dalila Hassan répond par l’affirmative.
Concernant Farida Belghoul, on a affaire à une femme toujours persuadée d’être dans le vrai avec son discours, soutenant mordicus qu’il y avait par ailleurs à cette période des livres érotiques partout à hauteur d’yeux d’enfants dans la médiathèque de Joué-lès-Tours, sans que l’on ne comprenne le rapport avec le dossier du jour, hormis pour semer des doutes. « J’ai considéré que ce récit correspondait à mon combat » explique-t-elle ensuite pour justifier sa démarche.
« Est-ce que vous reconnaissez qu’il est diffamatoire ? » demande la présidente : « non si les faits sont avérés, oui s’ils ne le sont pas » reconnait l’accusée qui s’emploie ensuite à minimiser son rôle dans l’affaire expliquant d’abord que c’est son caméraman qui a pris seul l’initiative de monter et publier la vidéo (un homme qui a depuis quitté la France et avec qui elle s’est fâchée allant jusqu’à porter plainte contre lui pour escroquerie) et ensuite que l’affaire de l’école Blotterie était en lien avec la campagne des élections municipales et une lettre signée du candidat de droite et futur maire Frédéric Augis dans laquelle il donnait son avis sur la théorie du genre, estimant qu’on voulait imposer son enseignement dans les écoles jocondiennes.
« Je suis surpris d’être cité » déclare dans la foulée Frédéric Augis, appelé à s’exprimer en tant que témoin. Il estime que l’enseignante a été diffamée mais raconte aussi que lors de sa campagne, quand il faisait du porte-à-porte, « certaines personnes ont évoqué des inquiétudes sur l’ABCD de l’égalité. J’ai reçu deux mamans un samedi et elles ont expliqué leurs réticences. Je ne stigmatise ni une école ni un enseignant, je reprends un débat national. » D’où sa lettre où on lit aussi qu’il soutiendra « toujours » les collectifs et associations qui se battent contre ces « théories et abominations. » Tiens, le mot « abominations », comme dans la vidéo. Coïncidence ? « Ce n’est pas un mot que l’on emploie tous les quatre matins » note la présidente. Mais aucun lien formel n’est établi entre Mr Augis et le collectif JRE, ni entre son staff de campagne et le mouvement.
En revanche, selon la défense, cette lettre a créé un contexte. « Quand notre société joue avec le feu, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des incendies. Quand des tracts sont diffusés, est-ce qu’on n’est pas en droit de considérer qu’il s’est passé quelque chose dans cette ville ? Est-ce qu’il n’y a pas un lien entre ça et l’élection de Mr Augis (de justesse, ndlr) ? » s’interroge l’avocat de Mme Belghoul avant de s’emporter : « j’ai honte, il n’y a plus de vie possible en société consensuelle. » Et, histoire d’ajouter de l’huile sur le feu : « on est quand même à la Blotterie, dans des milieux assez défavorisés où on laisse comprendre que ce serait mieux de classer l’affaire. »
Et l’enseignante alors ? Selon elle ce qui est dit dans cette vidéo est « aberrant » et elle affirme en réponse aux allégations des accusées : « on m’a vite reconnue. Les parents de mes élèves ont reçu des pressions. » Elle affirme avoir fait le nécessaire pour que la vidéo soit retirée, fait sur laquelle la défense s’interroge allant jusqu’à supposer qu’elle a été laissée en ligne « pour justifier des dommages et intérêts. » Ses avocats ont estimé qu’elle s’était retrouvée, sans que l’on comprenne pourquoi, « au centre d’un débat politique. » Dans la vidéo, « toute constitution des propos va dans le sens qu’ils ont vocation à être publiés. [Les accusées] n’avaient d’autre volonté que de promouvoir leur idéologie. Elles ont trouvé un prétexte. » La personne qui habitait l’appartement où elle a été tournée aurait affirmé devant les enquêteurs avoir entendu Farida Belghoul et son caméraman discuter de sa mise en ligne.
Un prétexte ou une véritable histoire scandaleuse ? A écouter les accusées et la défense, les faits rapportés par la maman ont une raison d’être et sont véridiques bien qu’ils n’aient jamais été prouvés malgré plusieurs auditions. Un exemple : celle de l’assistante de vie scolaire présente dans la classe avec l’institutrice qui disait que ce n’était « pas possible » parce qu’elle était là « tout le temps. » Ou alors le témoignage de la maman de la petite fille qu’on aurait forcée à se déshabiller qui l’a interrogée et qui n’en a jamais fait état.
La défense essaie de semer le doute : « d’après nos informations ce ne serait pas la fille d’une portugaise (la personne entendue lors de l’enquête, ndlr) mais la fille d’une tunisienne donc on n’a pas interrogé la bonne personne. » Argument N°2, lorsque le petit garçon a vu un médecin à Clocheville : « devant l’agitation de l’enfant il n’y a pas eu d’examen clinique. » Il ne voulait pas se déshabiller, c’est aussi ce qui aurait alerté sa mère et déclenché l’affaire. Et si elle n’a finalement pas déposé plainte ce serait juste « pour que l’on laisse son fils tranquille. » Bref, un mélange de théorie du complot, de défausse de responsabilité le tout formant un mic-mac complexe pour donner l’impression d’un dossier bancal.
En conclusion, selon la défense, les propos tenus dans la vidéo ne sont pas diffamants car ils rapportent seulement ce que raconte la mère du petit garçon et, de toute façon, ce serait plutôt le site YouTube sur lequel a été posté la séquence qui serait responsable vu qu’on l’y trouve toujours. Elle prétend aussi que les prévenues sont de bonne foi quand elles estiment toutes les deux avoir été dans l’ignorance sur la destinée réelle des images tournées. Suffisant donc pour les relaxer. De son côté, les avocats des parties civiles demandent 25 000€ de dommages et intérêts, notamment au titre du lourd préjudice psychologique de la plaignante.
Quant au procureur, il requiert la condamnation : « votre but c’était d’amener de l’eau au moulin du mouvement JRE. Je commence à me poser la question si ce n’est pas vous qui avez créé l’événement. C’était du pain béni. Vos actions s’essoufflaient un peu et voilà ce qu’il se passe. Farida Belghoul n’a jamais cherché à se demander ‘est-ce que je rêve ?’ (en entendant cette histoire, ndlr), je me demande où est la bonne foi. On se fabrique des preuves, vous n’avez même pas le courage de vos opinions. » Le jugement a été mis en délibéré et sera rendu le 19 mai.
Olivier COLLET
Jugées pour diffamation, deux figures anti-« théorie du genre » noient le poisson
Farida Belghoul, à l’ouverture de l’audience, jeudi à Tours. Photo Marc Chaumeil pour Libération
En pleine polémique sur les ABCD de l’égalité, Farida Belghoul et Dalila Hassan avaient tourné une vidéo accusant une institutrice. A l’audience à Tours, elles ont tenté de minimiser leurs rôles.
Elles n’avaient jamais vu le visage de Céline (1) mais lui ont à peine jeté un regard, ce jeudi, au tribunal correctionnel de Tours. Farida Belghoul - médiatique militante antiraciste dans les années 1980, désormais proche de l’extrême droite - et Dalila Hassan sont coprévenues. Céline, institutrice, est installée à l’opposé, seule, côté parties civiles. Hassan et Belghoul sont poursuivies respectivement pour diffamation publique à l’égard d’un fonctionnaire public, et complicité de diffamation. Pour avoir, il y a deux ans, accusé Céline d’avoir fait se déshabiller un petit garçon et une petite fille de trois ans et de leur avoir fait se « toucher les parties génitales », en classe. Des allégations discréditées à l’époque après une courte enquête, mais dont on peut toujours trouver une trace en ligne, dans une vidéo visionnée 80 000 fois.
En préambule, les mots « Ecole maternelle, Attentat à la pudeur à Joué-lès-Tours », inscrits sur un fond noir. Puis, à l’écran, c’est Dalila Hassan qui parle, une trentenaire gestionnaire en assurances, à l’époque responsable locale du mouvement des Journées de retrait de l’école (JRE), dont Farida Belghoul est la fondatrice. En mars 2014, la polémique sur l’enseignement d’une prétendue théorie du genre dans les écoles bat son plein. Théorie qui, selon ses détracteurs, viserait notamment, par le prisme des ABCD de l’égalité, à faire la promotion de l’homosexualité auprès des enfants, à grand renfort de peluches en forme de sexes et autres ouvrages prônant la masturbation. Une fois par mois, les JRE invitent donc des centaines de milliers de familles à retirer leurs enfants de l’école, en signe de protestation. Le mouvement rencontre, par endroits, un certain succès. Et les efforts de Vincent Peillon, ministre de l’Education d’alors, ne peuvent rien contre l’étonnante rumeur : les ABCD de l’égalité, testés cette année là dans plusieurs centaines de classes et imaginés pour lutter contre le sexisme, sont arrêtés en juin 2014.
Trois mois plus tôt, à Joué-lès-Tours, quelques jours avant la JRE du mois de mars, une mère de famille tchétchène parlant très mal le français se rend à l’école maternelle pour se plaindre d’agissements de la maîtresse de son fils, Céline. Le lendemain, à la sortie de l’école, plus d’une centaine de parents inquiets se rassemblent devant l’établissement « plutôt tranquille » situé en zone prioritaire. « C’était un vendredi, la journée avait été électrique, les parents faisaient des messes basses », se souvient la directrice de l’école, interrogée avant l’audience. Dans ce contexte arrive, en messie, Farida Belghoul, appelée à la rescousse par Dalila Hassan. Dans la foulée, Hassan et Belghoul – qui n’apparaît pas à l’écran mais ne nie pas sa présence dans la pièce - tournent la vidéo incriminant l’institutrice avec l’aide d’un caméraman.
« Il y a bien des gens qui pensent encore que la Terre est plate »
Céline et quelques amis, rencontrés avant le procès, sont encore effarés de l’ampleur qu’a pu prendre une rumeur basée sur rien : « Ce qui est terrible, c’est que ce soit si simple. C’était tellement grotesque », regrette Pascale, enseignante. Un collègue : « Il y a bien des gens qui pensent encore que la Terre est plate. On est dans l’irrationnel, dans le fantasme. »
Dalila Hassan est la première à être entendue à la barre. Face aux questions de la présidente, la mère de famille, vêtue d’un manteau noir, se noie un peu. Elle tente de minimiser son rôle : « J’ai relayé les propos pour aider la maman tchétchène, à aucun moment je n’ai dit que les faits étaient avérés. » La présidente : « Madame Hassan, franchement, est ce que vous pensez que le tribunal va vous croire... » La famille tchétchène n’a pas porté plainte contre Céline, et n’a jamais souhaité s’exprimer sur l’affaire. Concernant l’objectif de la vidéo, siglée JRE, la magistrate poursuit : « Vous ne croyez pas, madame, que [tout ça] était un gros coup de com’ ? (…) On tient là un fait divers qui est un excellent scoop [dans le contexte de la polémique sur la théorie du genre]. (…) Vous êtes dans une situation d’accusation d’abus sexuels, et vous, la première personne que vous appelez, c’est Farida Belghoul... » Réponse : « Elle est connue pour avoir de l’expérience dans l’aide aux parents d’élèves. »
Entendue à son tour, Farida Belghoul, à qui l’on reproche le montage et la diffusion de la vidéo, rejette la faute sur le caméraman, qu’elle accuse de « malversations » et avec lequel elle aurait cessé de collaborer quelques mois après l’affaire. Un troisième homme introuvable pendant l’enquête. De sa voix forte, elle blâme aussi Youtube, sans convaincre. Piquée par l’attitude du procureur à son égard, elle s’énerve : « Monsieur, Je ne vous permets pas de me parler de cette façon ! » Plus tard : « Je vous dis que je n’ai pas publié cette vidéo ! » Dans sa veste pieds de poule rouge bordeaux, la quinquagénaire assure avoir filmé l’intervention de Dalila Hassan avant tout parce qu’elle « archive » tout ce qu’elle fait.
« Société en déliquescence »
L’affaire a aussi une dimension politique, et l’unique témoin du procès est l’actuel maire de Joué-lès-Tours, Frédéric Augis (LR). D’aucuns lui reprochent d’avoir surfé sur la théorie du genre pour être élu, en diffusant notamment un tract dont il a toujours nié être l’auteur. Le 30 mars 2014, il l’emporte sur le candidat sortant à deux cents voix près.
A l’issue des débats, le procureur s’interroge : « [Hassan et Belghoul] disent qu’elles n’ont pas créé l’événement. Je commence à me poser la question. » Il requiert à leur encontre des amendes en fonction de leurs revenus. Pour Me Chautemps, avocat de Farida Belghoul, le coupable de l’histoire est avant tout le « climat » d’une « société en déliquescence » qui a permis qu’une telle affaire éclate. A l’extérieur du tribunal, une poignée de sympathisants de Farida Belghoul a fait le déplacement. Un père de famille, les cheveux rasés : « Je suis venu la soutenir parce qu’elle lutte contre la théorie du genre et défend nos enfants. » Le feu a beau être éteint depuis longtemps, la fumée est persistante. Jugement le 19 mai.
(1) Le prénom a été modifié
Elise Godeau
Procès contre les JRE par siksatnam1
Le communiqué de SUD Éducation 37 :
Solidaires37
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