Sud, un syndicat antirépublicain ! SFR l’attaque au tribunal
On se doutait que la loi sur la représentativité syndicale d’août 2008 allait donner lieu à de multiples batailles juridiques entre organisations et patrons. Mais à ce point... Lundi 30 novembre à 11 heures, au tribunal de grand instance de Longjumeau (Essonne), se tiendra une audience inédite. L’opérateur téléphonique SFR viendra contester devant le juge la représentativité syndicale de Sud au motif que le syndicat « ne respecte pas les valeurs républicaines ». Une première.
Avant la loi d’août 2008, seuls cinq syndicats étaient considérés représentatifs par la loi. Une représentativité dite « irréfragable » (incontestable), accordée depuis 1966 en raison de l’attitude « patriotique » de ces syndicats durant la Seconde Guerre mondiale. Mais depuis la nouvelle loi, tout a changé.
Il faut désormais gagner sa représentativité lors des élections professionnelles. La règle est simple : un syndicat est représentatif s’il dépasse le seuil des 10 % aux élections professionnelles – c’est 8% dans les branches. Chez SFR, Sud ne dépassait pas ce seuil. Jusqu’aux élections de juin 2009, où il s’est hissé au-delà de 10% dans un établissement, le centre d’appel de Massy (Essonne). Résultat : Sud s’estime désormais en droit de désigner des délégués syndicaux dans cet établissement. La direction lui conteste ce droit. Jusque-là, un conflit banal, comme les tribunaux en traitent tous les jours.
Sauf que l’audience n’est pas le seul critère désormais inscrit dans le code du travail. Pour être représentatif, un syndicat doit aussi faire preuve d’« indépendance », de « transparence financière », d’une « ancienneté minimale de deux ans », avoir des « effectifs d’adhérents et de cotisations ». Et « respect[er] les valeurs républicaines ».
C’est sur ce critère-là que l’avocat de SFR, Antoine Vivant, du cabinet Cotty Vivant Marchisio et Lauzéral, a choisi d’attaquer. Du jamais vu : jamais ce coup n’avait été tenté par un avocat patronal depuis la loi d’août 2008. En cause selon lui, les statuts de Sud-PTT, la fédération à laquelle Sud-SFR se rattache, qui mentionnent la référence au « socialisme autogestionnaire ».
Plus exactement, ces statuts évoquent un « syndicalisme de tranformation sociale dans la perspective du socialisme autogestionnaire ».
A la fin de ses conclusions, sur près d’une dizaine de pages, l’avocat de SFR, Antoine Vivant, développe longuement l’argumentation. « Sud ne respecte pas les valeurs républicaines », écrit-il, le socialisme autogestionnaire étant, selon l’accusation, « un courant politique dont les principes sont en tout point contraire » à ces mêmes valeurs. Le texte accuse le socialisme autogestionnaire de poursuivre « l’anéantissement du droit de propriété » et « l’anéantissement de la liberté d’entreprendre ». La démonstration est bourrée de références hétéroclites : la loi Waldeck-Rousseau sur les syndicats de 1884, des textes de l’Assemblée nationale sur les valeurs républicaines, des écrits de l’historien Bernard Ravenel (un des fondateurs du PSU en 1960), la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ou... la définition du « socialisme autogestionnaire » dans l’Encyclopaedia Universalis ! « La France est une république sociale, pas socialiste », écrit l’avocat de SFR.
Sollicité, Antoine Vivant n’a pas répondu à nos questions. Pas plus que SFR, qui n’a pas donné suite.
Thierry Domas, avocat de Sud, évoque un argumentaire « hallucinant ». « Il s’agit d’une attaque politique sans précédent contre la liberté d’opinion. C’est la première fois qu’une entreprise décide de contester la capacité d’un syndicat à participer au dialogue social à cause de ses statuts. » Avant l’audience, l’avocat se montre plutôt confiant : la position commune des partenaires sociaux qui a établi les nouvelles règles de représentativité définit le respect des valeurs républicaines comme « le respect de la liberté d’opinion, politique, philosophique ou religieuse ainsi que le refus de toute discrimination, de tout intégrisme et de toute intolérance ». Une allusion implicite à la jurisprudence "Front National-Police", syndicat ouvertement raciste lié au parti de Jean-Marie Le Pen, dissous en avril 1998 à la suite d’un arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation.
Mais au cas où le tribunal suivrait les conclusions de l’avocat de SFR, la porte serait alors grande ouverte pour interdire quasiment toutes les organisations. Car (et ce n’est pas très étonnant), les statuts des autres confédérations syndicales comportent elles aussi de sacrées charges contre le capitalisme, l’existence même du patronat ou le droit de propriété. Ainsi, les statuts de la CGT évoquent la lutte des classes et la nécessité de libérer l’humanité de « l’exploitation capitaliste et des autres formes d’exploitation et de domination ». Pire, ceux de Force ouvrière prônent même la « disparition du salariat et du patronat » ! Pour Annick Coupé, porte-parole de l’union syndicale Solidaires, « SFR a décidé de tout faire pour s’opposer à l’implantation de notre syndicalisme dans l’entreprise ». « Même s’il s’agit heureusement d’un cas unique pour l’instant, que SFR se permette ce genre de dérapage entre en résonance avec cette idée que notre syndicalisme n’a pas sa place dans la démocratie française, poursuit-elle. En la matière, le chef de l’Etat a donné l’exemple. » En janvier 2009, lors d’une grève à la gare Saint-Lazare, Nicolas Sarkozy avait dénoncé la petite sœur de Sud-PTT, Sud-Rail (SNCF), comme une « organisation syndicale irresponsable » qui « casse le service public [...] en fermant la deuxième gare de France sans prévenir personne ».
Article Médiapart
Solidaires37
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